Fin 2016, après avoir été soumise au contrôle du juge constitutionnel français, la loi française n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, également appelée « Sapin II » du nom du ministre des Finances et de l’Économie qui en est à l’origine, a finalement été promulguée. Elle renforcera, entre autres, la réglementation française en matière de lutte contre la corruption et a été saluée comme un « changement de donne ».
Au fil des ans, la France s’est dotée d’un ensemble assez complet de réglementations pour lutter contre la corruption et les pots-de-vin, interdisant la corruption active et passive (y compris les paiements de facilitation) ou le trafic d’influence, tant dans le secteur public que privé, qu’il soit national ou étranger. Elle dispose également d’une longue liste d’infractions annexes, comme par exemple le favoritisme dans les procédures de marchés publics ou, plus généralement, la représentation déloyale des comptes d’une entreprise et l’abus de biens sociaux (pour éviter les conflits d’intérêts). Néanmoins, la France n’est pas considérée comme ayant appliqué efficacement cette réglementation. La loi Sapin II vise à mettre en œuvre de véritables programmes de conformité et à accroître le signalement (et, espérons-le, la sanction) des infractions.
1. Extension de la portée internationale de la loi anti-corruption française
1.1. Infraction commise en dehors de France
La compétence s’étend désormais hors de France lorsque l’infraction a été commise par un ressortissant français ou une personne résidant en France ou exerçant tout ou partie de son activité commerciale en France. En outre, l’exigence de la double incrimination (c’est-à-dire que l’action constitue une infraction à la fois en France et dans le pays où elle a été réalisée) a complètement disparu. Cela permettra aux procureurs français de disposer d’une plus grande souplesse dans la poursuite des infractions de corruption transnationale.
1.2. Trafic d’influence
La sanction du trafic d’influence actif et passif est étendue aux agents étrangers (jusqu’à présent, seul le trafic d’influence d’un agent d’une organisation internationale publique était sanctionné par la loi).
2. Mise en place d’un programme de conformité
La loi oblige certaines entreprises à adopter un programme de conformité. Ces dispositions sont entrées en vigueur en mai 2017.
2.1 Champ d’application
Les programmes de conformité doivent être mis en œuvre par les entreprises de plus de 500 salariés ou faisant partie d’un groupe dont la société mère a son siège social en France, dont l’effectif total est d’au moins 500 salariés et dont le chiffre d’affaires annuel brut est supérieur à 100 millions d’euros. Leurs dirigeants sont également concernés par ces obligations.
De tels programmes peuvent également devoir être mis en œuvre par les entreprises qui (i) sont condamnées par un tribunal, ayant été reconnues coupables de corruption, ou (ii) ont conclu un CJPI (similaire à un accord de poursuite différée – voir ci-dessous).
2.2 Contenu
Les entreprises concernées par cette exigence doivent établir les éléments suivants :
- Un code de conduite qui doit faire partie du règlement intérieur de l’entreprise.
- Un mécanisme de signalement interne
- Un mécanisme d’évaluation du risque de corruption
- Des procédures de diligence raisonnable à l’égard des clients, des fournisseurs et des tiers.
- Des contrôles comptables appropriés des sessions de formation pour les cadres ou les employés occupant des postes à haut risque
- Des procédures disciplinaires pour les employés une procédure d’évaluation/mesure de l’efficacité du programme.
2.3 Les sanctions
L’Agence Française Anti-corruption (AFA) inflige principalement :
- Une injonction d’adapter le programme dans un certain délai (maximum trois ans).
- Une amende maximale de 200 000 € pour les personnes physiques et d’un million d’euros pour les personnes morales.
- Une publication de la décision
Lorsque le programme est imposé par une décision de justice suite à une condamnation pour corruption :
- Le représentant légal encourt une peine d’emprisonnement de deux ans maximum et une amende de 50 000 €.
- La société encourt une amende correspondant à l’infraction ayant donné lieu à l’injonction de se soumettre à un programme de conformité.
Sapin II ne prévoit pas de défense de conformité comme celle prévue par la loi britannique sur la corruption.
3. Création d’une agence anti-corruption : « Agence Française Anti-corruption »
Sapin II crée l’AFA, qui remplace le « Service Central de Répression de la Corruption ». L’agence est placée sous l’autorité du ministre de la justice et du ministre du budget français.
La nouvelle AFA disposera à la fois de pouvoirs d’enquête et de surveillance ou de contrôle, ainsi que du pouvoir d’imposer des sanctions administratives en relation avec les programmes de conformité. Elle n’a cependant pas le pouvoir d’enquêter ou de sanctionner les actes de corruption. Elle a notamment les responsabilités clés suivantes : i) aider les secteurs public et privé à prévenir la corruption ; ii) s’assurer que certaines entreprises ont mis en œuvre les programmes de conformité requis ; iii) signaler les violations aux procureurs ; iv) surveiller les entreprises.
L’agence a le pouvoir de demander des documents aux entreprises et d’infliger des amendes aux entreprises et aux particuliers qui ne divulguent pas d’informations ou qui n’ont pas mis en place le programme de conformité nécessaire.
4. Protection des dénonciateurs
4.1. Définition du dénonciateur
Le chapitre 2 de la loi Sapin II consacre la protection des lanceurs d’alerte, qui sont définis comme « toute personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, ou une violation grave d’une loi ou d’un règlement, ou une menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ».
Les faits, informations ou documents, quels que soient leur forme ou leur support, couverts par le secret professionnel (avocat ou médecin) et le secret de la défense nationale sont exclus du dispositif.
4.2. Un signalement à plusieurs niveaux
La loi prévoit que le lanceur d’alerte doit d’abord faire ses rapports (i) à un supérieur hiérarchique direct ou indirect ou à une personne désignée à cet effet et (ii) si cela n’est suivi d’aucune action, à l’autorité judiciaire ou administrative, ou au représentant d’un ordre professionnel. En dernier recours, (iii) le rapport peut être rendu public/diffusé dans la presse. Le signalement peut également être adressé au Défenseur des droits qui permettra de l’orienter vers l’autorité compétente en matière de recueil des signalements.
4.3. Obligation de mettre en place un dispositif de signalement
Des procédures internes de signalement doivent être mises en place lorsque certains seuils sont atteints, notamment lorsque l’entreprise compte plus de 50 salariés.
Les dispositifs de signalement doivent garantir une stricte confidentialité de l’identité du lanceur d’alerte, de l’identité de la personne sur laquelle porte le signalement et des informations recueillies. La divulgation de ces éléments est sanctionnée par une peine pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende.
4.4. Interdiction d’exercer des représailles
Il est interdit de discriminer les lanceurs d’alerte, lors du processus d’embauche, de l’accès à un stage ou à des cours professionnels ou encore en termes d’affectation, de salaire ou autre. Le fait d’entraver la transmission d’un signalement à l’employeur, aux tribunaux ou aux autorités est puni d’une peine pouvant aller jusqu’à un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
4.5. Les aides financières
Le Défenseur des droits peut accorder, sur demande, une aide financière à un lanceur d’alerte dans certaines circonstances, mais pas d’incitation.
5. Création d’un équivalent français de la convention judiciaire d’intérêt public (deferred prosecution agreement) américaine
La loi crée une « convention judiciaire d’intérêt public » (CJIP), qui peut être considérée comme l’équivalent d’un « deferred prosecution agreement » tel qu’il existe dans le système juridique américain. Elle peut être conclue sur proposition du procureur général avant que les poursuites ne soient effectivement engagées.
5.1. Contenu
Cet accord peut imposer :
- Une amende proportionnelle aux avantages tirés des violations constatées, dans la limite de 30% du chiffre d’affaires annuel moyen calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires connus à la date de la constatation de l’infraction.
- La mise en œuvre d’un programme de conformité pour une durée maximale de trois ans
- Indemnisation de toute victime connue, le paiement devant être effectué dans un délai d’un an.
- La mise en œuvre du programme est contrôlée par l’AFA aux frais de l’entreprise dans la limite d’un plafond.
5.2. Procédure et effet
L’accord doit être validé par le tribunal judiciaire compétent après une audience publique et des débats contradictoires.
Il n’y a pas de reconnaissance de culpabilité. La décision n’emporte pas condamnation et n’a ni la nature ni les effets d’un jugement de condamnation. Elle n’est pas inscrite au casier judiciaire, ce qui évite l’exclusion automatique des marchés publics.
L’ordonnance de validation, le montant de l’amende et la convention sont publiés sur le site internet de l’AFA.
Cela met fin à l’action publique. Les victimes (sauf l’État) peuvent toutefois demander des dommages et intérêts devant une juridiction civile.
Les représentants légaux de la personne morale accusée de corruption ne sont pas couverts et restent responsables.
La loi introduit des changements importants, mais seule la pratique dira si cela conduira à une meilleure conformité et si l’accord de poursuite différée deviendra un outil efficace.